Axe 2 - CIRCULATIONS TOURISTIQUES

Un des positionnements centraux de l’EIREST conteste la façon d’aborder habituellement la patrimonialisation par la territorialitĂ© et la sĂ©dentarisation pour s’intĂ©resser Ă  la façon dont le patrimoine se produit dans un contexte de circulations, de mobilitĂ©s et de migrations - et par les circulations, mobilitĂ©s et migrations. Les travaux menĂ©s dans le cadre des projets AAP, ANR citĂ©s plus haut ont mis en cause le modĂšle spatial fixiste du patrimoine, par la suite « consommĂ© » par les mobilitĂ©s afin d’explorer la façon dont les mobilitĂ©s produisent du patrimoine. A l’inverse, cette approche aborde les mobilitĂ©s et les circulations comme co-productrices de patrimoine et donc co-constitutives du champ patrimonial, renvoyant Ă  l’hypothĂšse d’un nouveau rĂ©gime de patrimonialisation. A ce titre devient fondamental le jeu scalaire territorialisation/dĂ©territorialisation/reterritorialisation du patrimoine.

A cet effet, au sein de cet axe est Ă©tudiĂ©e la question des hybridations patrimoniales reconfigurĂ©es sous l’effet des mobilitĂ©s et circulations, mobilisant divers intermĂ©diaires, passeurs, in-between, dĂ©fenseurs ou facilitateurs, en Ă©tant attentifs Ă  l’ « l’ambivalence » des hybridations patrimoniales et des « traductions » opĂ©rĂ©es par les passeurs du patrimoine (Bhabha, 1995), et opĂ©rant Ă©galement Ă  travers la circulation de dispositifs, normes, etc.

Enjeux et objets de recherches

Tout d’abord l’ANR PATRIMONDI qui explore la façon dont les dynamiques de la patrimonialisation interfĂšrent avec les mobilitĂ©s touristiques et les circulations mondiales (de personnes, d’idĂ©es, de capitaux, d’images).

Partant du constat que le lien entre "patrimoine" et "migration" a Ă©tĂ© largement interrogĂ© (Rautenberg, 2007,  Fourcade, Legrand, 2008; Bertheleu, 2014), l’enjeu de cet axe serait d’étendre le champ de recherche Ă  d’autres formes de mobilitĂ©s contemporaines et de circulations transnationales. Les rĂ©sultats de l’ARP (Atelier de rĂ©flexion prospective, financĂ© par l’Agence nationale de la recherche) PA.TER.MONDI, invitaient Ă  un tel Ă©largissement en mettant en lumiĂšre la nĂ©cessitĂ© de prendre en compte toute la diversitĂ© des mobilitĂ©s contemporaines dans l’étude du « patrimoine » : non seulement les migrations (diasporas), mais aussi l’impact du numĂ©rique, du tourisme ou encore des politiques de restitution. Il s’agit de donc saisir plus largement la question du lien mobilitĂ©s-patrimonialisation en faisant appel et en discutant les cadres thĂ©oriques dĂ©veloppĂ©s rĂ©cemment dans divers champs des sciences sociales autour du « transnationalisme » et des circulations liĂ©es Ă  la globalisation.

Cet axe aborde également la question de la circulation des normes et des doctrines. La diffusion des normes patrimoniales portées par des organismes internationaux (notamment l'UNESCO) soulÚve plusieurs types de questions.

D’une part, la diffusion de ces normes rencontre des maniĂšres spĂ©cifiques de penser la transmission des biens et pratiques culturels, voire font face, dans certains contextes, Ă  des « techniques de non-transmission et d'effacement de la mĂ©moire » (Taylor, 1997). Il y a donc lieu d’examiner comment les politiques patrimoniales internationales sont adaptĂ©es en fonction des enjeux politiques locaux (Bendix, Eggert et Peselmann, 2012 ; Tornatore, 2012), comment elles sont traduites dans les vocabulaires locaux du patrimoine (Bondaz, GraezerBideau, Isnart, Leblon, 2014), voire « indigĂ©nisĂ©es » (Sahlins). Cette circulation est Ă  double sens, puisque les conceptions locales et diverses des hĂ©ritages culturels influencent en retour, dans un processus que certains qualifient de « provincialisation » (Geismar, 2013), les politiques patrimoniales portĂ©es par les organismes internationaux.

Ces circulations d’idĂ©es et de concepts sont abordĂ©es dans le cadre de l’ANR Ă  travers l’exemple d’Angkor, et sur des terrains ocĂ©aniens.

D’autre part, l’internationalisation des normes patrimoniales implique Ă©galement la circulation de notions corollaires, notamment celles de « propriĂ©tĂ© intellectuelle » et d’« industrie crĂ©ative ». En effet, l'Ă©mergence des politiques patrimoniales conduit Ă  une redĂ©finition des pratiques artistiques non seulement comme « patrimoines » mais aussi comme ressources Ă©conomiques potentiellement utilisables dans le cadre des « industries de la culture » ou « industries crĂ©atives ». Ces derniĂšres sont dĂ©finies, par l'UNESCO notamment, comme permettant de « convertir la crĂ©ativitĂ© des pays en dĂ©veloppement en industries culturelles durables » (cf. site de l'UNESCO), selon un processus soutenant Ă  la fois la crĂ©ation et le dĂ©veloppement Ă©conomique. Dans des contextes oĂč la notion de « propriĂ©tĂ© intellectuelle » Ă©tait parfois absente, et oĂč les pratiques patrimoniales Ă©taient extraites des Ă©changes marchands, il devient dĂ©sormais impĂ©ratif de dĂ©terminer qui sont les usagers, dĂ©tenteurs ou « propriĂ©taires » lĂ©gitimes des biens et pratiques afin de savoir Ă  qui doit/peut profiter d'Ă©ventuelles retombĂ©es Ă©conomiques.

Ces questions, largement traitĂ©es aujourd’hui dans le monde anglophone (Drahos et Frankel, 2012 ; Geismar, 2013 ; Rimmer, 2015), nĂ©cessitent toute notre attention, et elles sont directement en lien avec la question touristique. Il s’agit de rĂ©examiner la question de la « marchandisation » et du rapport « marchand-non-marchand » qui, bien qu’ancienne dans les Ă©tudes touristiques, se pose aujourd’hui d’une maniĂšre inĂ©dite avec la circulation accrue des normes patrimoniales et des notions qui les accompagnent (propriĂ©tĂ© intellectuelle, industrie crĂ©ative), mais aussi avec les dynamiques d’hybridation et d’"uberisation" Ă©voquĂ©es dans l’axe rĂ©gulation.

Cet axe s’intĂ©resse enfin Ă  la politique des savoirs dans le cadre des processus de patrimonialisation de l’environnement qui permet d’interroger les multiples processus circulatoires Ă  l’Ɠuvre dans la production du patrimoine dit « naturel » : les circulations historiques et contemporaines des acteurs, des pratiques et des reprĂ©sentations scientifiques de la nature (Pestre D., 2013, 2015) ainsi que les circulations des dispositifs communicationnels scientifiques de la nature qui en dĂ©coulent (Babou I., 2015).

Objets d’étude

  • Patrimoine Mondial de l’UNESCO
  • MusĂ©es globaux / Starchitecture
  • Circulation des images /imaginaires
  • Enjeux patrimoniaux et de propriĂ©tĂ© intellectuelle
  • Patrimonialisation de l’environnement : circulations des savoirs scientifiques et des savoirs diasporiques dans la CaraĂŻbe

Projets

ARP PATERMONDI - Patrimoine(s), entre territorialisation et mondialisation

Le premier objectif de l’ARP, constituĂ© d’un consortium pluridisciplinaire, a Ă©tĂ© de rĂ©pondre aux grands dĂ©fis du patrimoine par l’intermĂ©diaire d’un travail prospectif organisĂ© autour de 6 thĂ©matiques structurant les travaux de groupes de travail (GT) autour de 6 principaux enjeux :

  • La comprĂ©hension des nouveaux ressorts de la patrimonialisation et des modalitĂ©s de sa fabrique dans le contexte de la mondialisation ;
  • L’identification et la mise en exergue des nouveaux pĂ©rimĂštres Ă©conomiques du patrimoine ;
  • L’analyse des contours des nouvelles modalitĂ©s de conservation, de transmission et des critĂšres de l’authenticitĂ© ;
  • L’évaluation et l’identification des besoins Ă©mergeants pour de nouvelles formations et des nouveaux mĂ©tiers concernĂ©s par le patrimoine culturel mais aussi les nouveaux types d’information et de mĂ©diation nĂ©cessaires auprĂšs des publics ;
  •  La comprĂ©hension des nouveaux modes d’observation, de mesure et d’évaluation du patrimoine culturel ;
  •  L’évaluation des nouvelles modalitĂ©s et dispositifs de mĂ©diations des patrimoines.

Par une approche systĂ©mique et dynamique, il a proposĂ©, Ă  partir de scĂ©narii, des stratĂ©gies d’action et se propose de faire Ă©merger de nouveaux champs de recherche autour de cet objet.

Il a enfin permis de fĂ©dĂ©rer et de mettre en rĂ©seau un ensemble d’acteurs acadĂ©miques, scientifiques, professionnels et politiques concernĂ©s par la question du Patrimoine Culturel.

Télécharger la synthÚse du projet

Le Projet sur le site de l'Agence Nationale de la Recherche

ANR PATRIMONDI -Les enjeux de la « patrimondialisation » ou la fabrique touristique du patrimoine culturel dans la mondialisation : ModÚles globaux, recompositions identitaires, hybridations

Les enjeux de la « patrimondialisation » ou la fabrique touristique du patrimoine culturel dans la mondialisation : ModĂšles globaux, recompositions identitaires, hybridations. Le projet PATERMONDI explore la façon dont les dynamiques de la patrimonialisation interfĂšrent avec les mobilitĂ©s touristiques et les circulations mondiales (de personnes, d’idĂ©es, de capitaux, d’images). L’analyse est sous-tendue par l’hypothĂšse d’un nouveau rĂ©gime de patrimonialisation caractĂ©risĂ© par une coproduction touristique du patrimoine dans les dynamiques de mondialisation. Elle permettra de dĂ©passer l’analyse classique d’un Ă©largissement continu du champ patrimonial, pour dĂ©finir et analyser les modalitĂ©s contemporaines et nouvelles de sa production. Le nĂ©ologisme de patrimondialisation, par son jeu sur l’assonance entre patrimonialisation et mondialisation, pense une tendancielle sortie des interfĂ©rences historiques entre patrimonialisation et construction nationale, au profit d’une mondialisation du patrimoine, mais aussi d’une mondialisation par le patrimoine.

Le site du Projet

Le Projet sur le site de l'Agence Nationale de la Recherche

 

Références

Babou I., 2015, « Patrimonialisation et politiques de la nature : le parc national de La RĂ©union Â», VertigO – la revue Ă©lectronique en sciences de l’environnement, Volume 15 NumĂ©ro 1.

Bendix Eggert R. A., Peselmann A., (éd.), The Heritage Regimes and the State, Gottingen, Göttingen University Press.

Bertheleu H. (dir.), 2014, Au nom de la mĂ©moire. Le patrimoine des migrations en rĂ©gion Centre, Tours, Presses universitaires François Rabelais, 350 p.

Drahos P., Frankel S., 2012 « Indigenous Peoples’Innovation and Intellecual Property : The Issues Â», in Peter Drahos et Susie Frankel (dir.), Indigenous peoples’ innovations : intellectual property pathways to development, Canberra: ANU Press, [en ligne], press.anu.edu.au/publications/indigenous-peoples-innovation.

Fourcade M.-B, Legrand C. (dir.), 2008, Patrimoines des migrations, migrations des patrimoines, Presses universitaires de Laval, 181 p.

Geismar H., 2013, Treasured possessions. Indigenous Interventions into Cultural and Intellectual Property. Durham et Londres:  Duke University Press.

Pestre D., 2015, ed., Histoire des sciences et des savoirs, 3 tomes, Seuil ; Pestre D., 2013, À contre-science: politiques et savoirs des sociĂ©tĂ©s contemporaines, Editions du Seuil, Paris.

Rautenberg M., 2007, « Les communautĂ©s imaginĂ©es de l’immigration dans la construction patrimoniale Â», Les Cahiers de Framespa, dossier « Patrimoine et immigration Â», no 3 : framespa.revues.org/274.

Rimmer M. (ed.), Indigenous Intellectual Property: A Handbook of Contemporary Research, Cheltenham et Northampton: Edward Elgar

Taylor A-C., 1997, « L'oubli des morts et la mĂ©moire des meurtres», Terrain, n°89, “Vivre avec le temps”, p.83-96.

Tornatore J-L., 2012, « Retour d’anthropologie : "le repas gastronomique des Français”. ÉlĂ©ments d’ethnographie d’une distinction patrimoniale Â», Ethnographiques.org, 24, [en ligne] URL : www.ethnographiques.org/2012/ Tornatore.

Sahlins M., 1989 [1985], Des Ăźles dans l’histoire. Paris : Le Seuil.

Sahlins M., 2007, La dĂ©couverte du vrai sauvage et autres essais. Paris : Gallimard

Wieviorka Michel, L'impĂ©ratif numĂ©rique ou La nouvelle Ăšre des sciences humaines et sociales ?, Paris, CNRS Éditions, 2013, 64 p.